UN SOURIRE D’AMOUR
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Vous ne le voyez pas pourtant il est là, il marche le long des trottoirs dans la ville là bas doucement doucement voûté fatigué, la canne sur le côté, l’accompagnatrice fidèle venue vivre auprès de lui, venue suivre ses derniers jours.
Vous ne le voyez pas il est assis ici sur le petit banc de devant la « sonacotra » la canne posée, elle est fatiguée sa belle, pas de promenade aujourd’hui, il fait gris, le manteau du vieux monsieur lui aussi est gris et fatigué, des heures et des heures enfermé dans le petit casier de la petite petite chambre de Mohamed quand il passait son temps sur les chantiers à creuser la terre sur faire pousser de grandes maisons, de hautes habitations pour des gens qu’il ne verrait pas ne connaîtra pas.
C’est qu’il en a vécu du temps passé, ce vieux manteau pendant de longues matinées, avec les amis du foyer, à attendre la lettre du facteur -le rayon de soleil qui efface la vétusté un instant du vieux bâtiment- qui lui raconte la naissance de la petite fille de sa cousine au pays ou le diplôme du neveu qui veut devenir avocat.
C’est qu’il en a vécu des saisons sur le dos courageux de Mohamed qui construisait aussi des rêves de famille des rêves de voyage, le célibat n’est pas forcément un choix, la vie passe vite, sa jeunesse est partie ses rêves aussi, reste les cartes postales collées sur l’armoire en ferraille complètement mangée par la rouille ; tiens ils viennent en mettre une nouvelle demain, en bois, après vingt ans de demande…
Assis sur son banc Mohamed voyage dans sa mémoire, c’est qu’elle était bien belle Aïcha, il la voit toujours, son souvenir est intact ainsi que son amour, il aurait bien aimé avoir des enfants… mais ses sous envoyés au pays, servaient à soigner sa maman et il n’en gagnait pas beaucoup, le choix était alors évident dans ce temps où le travailleur immigré vivait loin des siens ; et dire qu’il y a des gens qui vomissent sur le regroupement familial comme si vivre humainement est un délit !
Assis sur son banc de devant son foyer aux chambres qui se vident, il sait qu’il va falloir trouver un nouveau lieu, pas trop cher, il a si peu ; il va falloir penser à demain car comme un chien il va être laissé sur le bas côté de la société, le retraité des travaux publics.
Assis il est assis sur son vieux banc plus gris que le temps, il ne va plus boire son thé à la brasserie d’à côté, sa solitude n’est un choix de vie.
Assis sur son banc, Mohamed est parti assis, les yeux dans le ciel à regarder les hirondelles, belles belles, il est parti avec elles, la paix en son cœur, son vieux manteau sur le dos, sans un mot, juste avec un sourire pour son Aïcha, le dernier sourire d’amour.
Le 23 août 2015