Les couleurs de sa semaine
Dimanche, bruine et brouillard verdissent son cœur, elle vomit son labeur, deux heures pour mâcher sa feuille de salade et son bout de viande qui est à la viande ce que le fer est aux épinards, lance son dentier dans le saladier. Le sapin de Noël clignote majestueusement au milieu du restaurant du lieu de son enfermement, elle quitte la salle encore le ventre chantant et peine à voir à travers ses lunettes de cafard.
Lundi elle ressent jaune pense bleu dit vert, elle est verte de rage et point ne ménage. Mardi ce nouveau jour lui hérisse la peau lui plombe le mental et lui salit ses lunettes elle n’aime décidément pas l’eau, met sa tenue de matelote, se plante dans le hall, sous le porche frissonne, gare aux coups de parapluie. Réintégrée, à l’atelier peinture est amenée, s’est amusée à peindre les vitres en vert, puis est partie en courant, sur le chemin de sa détresse, elle aime jouer avec le vent ! « Vent frais vent du matin, vent qui souffle aux sommets des grands pins » chantait l’animatrice.
Mercredi serait bien restée couchée mais quelques contrats la retenaient sur la route de la médisance qui piaffait dans les longs couloirs du grand isoloir, mal voyante mais pas sourde, elle aimait en faire bondance.
Lundi mardi mercredi silence radio silence téléphonique silence silence. Jeudi toilettage et massage, elle est la folie en folie chantonne-t-elle sous les vapeurs d’un jacuzzi à son voisin de souche, plus furieux que fou : « Elle a pissé dans mon aquarium ! ». Elle est fière d’elle, les poissons rouges ont viré verts c’est d’enfer rit-elle.
Vendredi jour de sortie, refuse la jupe la robe s’est réfugiée dans le placard à balais fait sa sorcière finit attachée au bûcher de son lit. « C’est pas à quatre fois vingt ans que vous me ferez faire le singe dans vos fêtes à la noix de c… ». Elle a encore réussi à éviter cette sortie où des petits garçons et des petites filles viennent chanter pourtant joliment joyeux Noël aux vieux de l’hospice. Elle serre contre son cœur la photographie de son unique petit fils partit à la guerre depuis trois ans pour sauver elle ne sait quelles affaires, elle sait qu’il appellera, elle ne doit pas quitter sa chambre et quand le téléphone sonnera qu’elle entendra sa voix son cœur rayonnera il sera vivant son tout petit, sa seule main libre prend le combiné, le soleil est entré, c’est bien lui, et la bonne nouvelle tonne « Mamie je viens te chercher samedi ! ». Elle a son père Noël et il a l’âge de son petit d’amour, il lui avait promis que, jamais ô grand jamais, elle ne finirait sa vie en maison solitaire !
Quand survient la mort de ses parents tués dans un accident de la circulation, il était en Afghanistan. Fils unique injoignable, la mairie se chargea des funérailles et plaça la vieille dame qui jamais ne se résoudra à le croire disparu. Elle devint la dérangée de l’hospice, celle qui avait attrapé un grain de folie à la mort de ses enfants.
Sous son manteau couleur bonheur, mamie a revêtu sa plus belle tenue pour accueillir sa fleur de vie en ce beau samedi !