Toute ma vie, je me suis trompé.
Après avoir lu Marx, j’ai pensé que l’émancipation humaine était possible et qu’on pouvait abolir le Capital. J’ai essayé (à ma petite place) de faire advenir cette hypothèse. Ça m’a pris du temps et coûté beaucoup des sous que j’aurais pu gagner en me mettant au service de l’Argent.
Et puis j’ai lu Darwin comprenant que changer l’Homme, ce n’était pas une petite affaire. Et après 1991 que la perspective était complètement bouchée.
J’ai cru que Gorbatchev qui m’avait impressionné lors de notre rencontre allait démocratiser le socialisme et que l’URSS était quand même solide. Mauvaise pioche.
J’ai voté Georges Marchais en 1981, Lajoinie en 1988, Robert Hue en 1995, rien que des branlées.
Ravi, j’ai cru que la chute de Ceausescu était une insurrection démocratique, encore raté. Que l’OTAN ne bombarderait pas la Serbie au prix de milliers de morts civils pour installer un État islamiste mafieux dans les Balkans. Encore planté.
Que Bush et Blair n’oserait pas envahir l’Irak en le justifiant par de grossiers et évidents mensonges, que Sarkozy et Cameron ne piétineraient pas le droit international pour détruire la Libye, que la limace Hollande n’oserait pas également de grossiers mensonges soutenir Al Qaïda et agresser un pays dont les dirigeants ne lui convenaient pas. Tout faux.
J’ai pensé que l’évidence de l’organisation par les Américains d’un coup d’État contre un président démocratiquement élu en Ukraine, allait empêcher une déstabilisation durable de ce pays. Et de donner aux Russes le sentiment d’être agressé. J’ai cru avec les accords de Minsk que les Européens mesuraient la nécessité d’une solution. À nouveau mauvaise pioche. Que face à la détermination diplomatique des Russes demandant le respect du droit international, les dirigeants des pays de l’UE mettraient pour un temps de côté leur servilité atlantiste pour calmer le jeu. Nada.
J’ai écrit que la reconnaissance par la Russie des républiques séparatistes, allait provoquer pour un temps une suffisante neutralisation de fait de l’Ukraine. Plantage en rase campagne avec l’invasion russe.
Ça fait beaucoup d’erreurs et commence sérieusement à ressembler un tropisme.
Hélas, ce n’est pas fini. Je m’étais dit que l’existence des réseaux sociaux et l’extension de l’espace du débat contradictoire pouvait contribuer à faire progresser la raison. Tu parles ! Depuis le déclenchement de l’invasion, les délires hystériques se donnent à voir sans mesure et sans limite. Mauvais ça, très mauvais.
Parce que finalement on se demande si miser sur l’Homme n’est pas un placement perdant à coup sûr. Les soubresauts que nous annonce cette nouvelle guerre froide avec son triangle nucléaire (USA, Chine, Russie) recèlent il ne faut pas l’oublier la possibilité de « la fin de l’Histoire », mais pas métaphorique cette fois-ci.
J’ai toujours pensé que c’était l’équilibre des forces qui avait empêché la première guerre froide de se transformer en guerre chaude nucléaire.
Je crois que là aussi je me suis trompé.
L’aventurisme américain et le refus de son déclin, le complexe russe depuis Barbarossa, la masse de la Chine peuvent nous y emmener tout droit.
Tod Daniel Wolters, général américain est actuellement le patron du Commandement européen des États-Unis. Il sert simultanément en tant que Commandant suprême allié de l’OTAN en Europe. Auditionné en 2019 par une commission du Sénat américain il a indiqué de façon très nette que l’état-major US considérait que les États-Unis devaient envisager contre la Russie et la Chine la possibilité de lancer les premiers une offensive nucléaire et de la gagner ! Quiconque connaît un peu les cercles néocons américain sait qu’il y a suffisamment de furieux à Washington pour souhaiter la mise en œuvre de cette option.
La mise en alerte par Poutine de ses forces nucléaires nous fait rentrer dans une séquence assez terrifiante.
Bon, pas de panique. Je suis peut-être aussi en train de me gourer, puisque c’est une habitude.
En fait non, ce coup-ci il est possible que j’aie raison.
Mais dans ce cas il est probable qu’il n’y aura plus personne pour saluer ma sagacité.