Stylée
Le nez collé sur la vitre de la cuisine, Madelaine balaie d’un regard ombragé les passants qu’elle trouve bien mal habillés :
« On dirait des zombis sortis froissés de leur trou à rat… », puis regarde sa fille monter les marches… Elle l’entend poser son parapluie dans le hall de l’entrée, mettre son imper sur le perroquet, se déchausser, en se disant : « Elle va encore tout me saloper… »
« Bonjour maman ! Pourquoi tu ne sors pas un peu ? Tu pourrais profiter du beau temps, t’aérer un peu, il ne pleut pas ce matin !
- Jour !… Ils ont annoncé de la pluie.
- Tu pourrais papoter avec tes voisines ! Ton jardin est splendide…
De quoi je m’occupe ! marmonne Madelaine…
- Dis-le si ça te dérange de venir me voir !
Céline hausse les épaules :
- Mais tu sais bien que non ! Pourquoi tu dis ça ?
Madelaine commence à critiquer le jardinier qui n’est pas passé hier !
- Mais il ne passe jamais le jeudi !
Puis elle s’en prend à Maurice le boucher qui n’a pas livré sa commande !
- T’en as pas marre de critiquer tout le monde ?
- QUOI MOI CRITIQUER ? N’IMPORTE QUOI ! Puis en baissant le ton : des constats, rien que des constats qui me portent préjudice ! Tu sais quoi, toi, de ce que je fais de mon temps ! Toi qui passe que tous les 36 du mois !
Céline soupire et range les courses, prépare le thé et fait des tartines avec le pain tout frais du matin, comme chaque jour…
Sentant qu’elle a dépassé les bornes, Madelaine, s’assoit et tente de s’excuser :
- Je suis une vieille ronchonnant qu’a autant de style qu’une vieille porte rouillée, je couine, je te casse les oreilles… et c’est pas dit que demain mon style sera meilleur !
Céline sait sa mère sincère à ce moment là, elle dépose un bisou sur son front !
- Oui et demain je serai là maman !
Madelaine lève les yeux sur sa fille, et lui dit dans son élan :
- T’es quand même une bonne gamine ! »
Il n’est pas aisé pour tout le monde de dire « je t’aime » et il faut savoir l’entendre là où il est caché.